Portrait

Thierry Huau architecte-paysagiste-urbaniste, ethnobotaniste, concepteur et réalisateur de très nombreux projets nationaux et internationaux, de Paris à Antananarivo, de Marrakech à Hanoï ou de Beyrouth à Shanghaï, est diplômé de l’École Nationale Supérieure de Paysage de Versailles. Ancré dans la vague verte, il met sa passion des plantes et des patrimoines naturels et bâtis, au service des grands projets urbanistiques, immobiliers, touristiques et sociaux.

UN PARCOURS D’ETHNOBOTANISTE

De Tunis où je suis né, je n’ai gardé aucun souvenir réel, à moins – et qui peut le dire ? Odeurs de jasmins et de figues ou la fraîcheur de l’ombre des patios endormis ne m’aient laissé quelque mémoire ancestrale et un désir indéfectible pour la Méditerranée. L’enfance en banlieue parisienne, vécue dans l’environnement minéral un peu austère, loin des senteurs de cette terre de soleil, mais face aux architectures de ces cités nouvelles de ces années-là. Rien a priori qui devait me mener vers la voie du paysage et de la verdure. Ce sont mes années de collège à Bury dans le Val d’Oise, qui commenceront
à m’ouvrir les yeux sur la beauté des jardins et des lieux. Bury, à Margency, fut en son temps demeure d’Alfred de Musset, grosse maison blanche au
toit plat orné de balustres comme on les dessinait au XIXème, entourée d’un vaste parc peuplé d’étangs et de grands arbres. Indéniablement, la poésie qui courait partout encore à Bury a trouvé en moi une résonnance qui m’échappait à l’époque et qui se livre encore, année après année.

Révélation I

Mes années de collège m’ont forgé une véritable passion pour les sciences naturelles. J’arpentais la campagne avec mon professeur pour de longues promenades de reconnaissances botaniques. La vieille flore de Gaston Bonnier sous la bras, nous comparions, mesurions et collectionnons monocotylédones ou dicotylédones, feuilles d’arbres ou plantes adventices en bordure de champs et de bois, feuilles et brins d’herbes qui se retrouvaient
empilées entre des feuilles de journaux pour enfin constituer des herbiers. Les noms des plantes écrits avec application sur des étiquettes gommées, résonnent encore comme un chant magique, Capsella Bursapastoris, Quercus Sylvaticus, Sarmbucus Nigra… Assez simplement, mon parcours m’a conduit vers un lycée horticole Breton, l’école de Saint llan, posée en bord de mer tout au fond de la baie de Saint Brieuc. Magie encore. Un castel élimé à force de tempêtes et d’embruns salés ; un paysage sans cesse modifié au gré des marées, dans les multiples tons de gris et de vert bleu offerts par un des estrans les plus vastes d’Europe, découvrant des kilomètres de vasières scintillantes peuplées de nuées d’oiseaux palustres. Ce temps fut celui de l’apprentissage et du perfectionnement, celui de la découverte, de la biodiversité.

Révélation II

Les jeunes français de vingt ans, dans les années soixante-dix, étaient encore appelés sous les drapeaux. Comme bon nombre de mes compatriotes, j’apprends le pas cadencé et autres corvées dans une triste caserne de la région bordelaise. Hasard ou nécessité, coup de chance en tout cas, on m’envoie finir ma période soldatesque à Nouméa, Nouvelle Calédonie. Immédiatement, le choc. Arrivé de nuit, c’est au petit matin d’un jour de Janvier 81, saison chaude dans l’hémisphère sud, que j’ai pris la mesure de la démesure de ce que la Terre et la nature peuvent offrir en générosité de paysage. Surgies des entrailles de la planète au gré des affrontements tectoniques, les îles volcaniques, rouges et massives offrent les plus hallucinants spectacles de minéralité mêlée de végétation qui m’aient été donnés d’admirer. Je découvrais une dimension inconnue à mes yeux d’européen, un aboutissement, une conjugaison majuscule de ce que la biodiversité peut offrir. Tous les règnes abordés au long de mes années d’études trouvaient ici leur terrain d’expression le plus inimaginable. Ce fut une véritable révélation, un enchantement de profusion végétale et animale, de couleurs et de tons, de sons, de cris, de pluies énormes et de parfums de terre.

OUTILS

la plante

INSPIRATION-PASSION

Qu’est-ce que la passion des plantes ? Un héritage encore ? Une révélation ?
Une culture certainement, et la passion des plantes se nourrit autant de botanique pure, de connaissances scientifiques, d’observations nourries tout au long des années de promenades et de voyages, qu’il s’agisse de faire 1000 fois le tour de son propre jardin ou d’aller se ressourcer à Kyoto ou en Toscane. La plante, porte d’entrée évidente d’une approche ethnobotanique du monde, devient l’axe de regard et de compréhension d’un système, sa colonne vertébrale. La transversalité évoquée plus haut trouve ici tout son sens. On peut penser : prenons un territoire et plantons-le. On a longtemps et trop souvent pensé ainsi. Aux dépends de régions entières et finalement aux dépends du bien-être même de l’humain. De très nombreux exemples catastrophiques sont citables, hélas tout à fait contemporains et encore perpétrés dans beaucoup de pays dits « émergeants ». On peut penser autrement, en commençant à nouveau par regarder, par ouvrir simplement les yeux avec bon sens. Tel arbre pousse ici avec facilité, pourquoi ? D’où vient-il ? Qui l’a installé ici ? L’olivier est à ce titre un des plus merveilleux exemples. Peu exigeant, solide et généreux, il est indissociable non seulement de son aire géographique, le bassin méditerranéen, mais aussi de la culture historique et économique de la « Terre Méditerranée », chère à Braudel.
Symbole d’unité et de paix, il donne aux peuples qui ont su le respecter une huile parfaite, goûteuse et bienfaitrice et au paysage son faciès le plus symbolique. Autres contrées, autres symboles, indissociables encore de leurs territoires natifs, le baobab de Madagascar ou l’Erable du Canada, qui signe l’image de marque du pays sur son drapeau national. La plante, c’est un climat, une histoire, une territorialité. Le lin, le pastel, le mûrier ont chacun leur aire de répartition. Pas question de tenter le mûrier au nord de telle latitude, d’autres avant nous s’y sont cassé les doigts.

les patrimoines

Un territoire, ça se respecte. La curiosité intellectuelle est l’une des deux jambes du paysagiste, l’autre étant sa connaissance du végétal Il ne paraît pas concevable d’appréhender un sujet, une commande, sans commencer par s’imprégner du terrain qui la concerne. Et ce à tous les niveaux. Où sommes-nous et pourquoi ce terrain ? D’où vient-il, quelle est et a été son histoire, qui l’a arpenté depuis des siècles, à quoi a il servi. Autant de questions qui font le processus mental qui préside à tout abord de nouveaux sujets. Il ne s’agit pas de faire du « regarder en arrière » par pure nostalgie ou désir de restaurer un passé perdu voire mythique. Non, il s’agit de s’imprégner de la substance même du lieu, avec respect, en prenant le temps qu’il faut et en se référant aux bons ouvrages. Avec respect car débarquer sur un terrain pour y appliquer un canevas tout fait relève du mensonge et trop d’exemples ont
montré les limites de ces façons de faire. Deux cas de figure se présentent généralement ou bien la création est à faire, en partant de zéro ce qui n’est
jamais exactement vrai, ou bien il s’agit de restaurer des espaces végétalisés, de les recréer, de les adapter à une vie nouvelle et future. Dans ce dernier cas, le patrimoine est une donnée souvent encore vivante, parfois moribonde mais présente, sous la forme du dessin antique d’un jardin, ď espèces végétales qui ne peuvent pas se trouver en tel lieu par hasard. Une étude fine me permet si la chance est là de retrouver des archives qui permettront d’en savoir plus sur la destinée originelle du lieu étudié et travaillé. Dans le premier cas, le territoire parle pour le jardin à créer, ou l’ensemble urbanistique à concevoir.
Un terrain vierge de construction n’est pas vierge d’histoire, une couverture végétale récente peut en avoir effacé une autre. C’est en travaillant avec
des allers-retours d’échelle allant du décamètre à la centaine de kilomètres que va se dessiner le projet. Le patrimoine n’est plus ici purement historique et factuel, mais régional au sens large, dans ses aspects naturels, géomorphologiques et socio-historiques. Thierry Huau avec toute l’attention et la patience de Hervé Rivoalland.